C’est sans doute l’une des questions les plus posées du moment : que peut faire un individu, à son échelle, face à l’ampleur du problème du réchauffement climatique ? Quelle action a le plus d’impact pour réduire ses émissions de CO2 ? Devenir vegan ? Arrêter de prendre l’avion ? Recycler ? Acheter des compensations carbone ? Et qu’en est-il dans tout ça de notre participation à la vie démocratique de notre pays ? Trois chercheurs ont publié en 2021 une étude qui évalue la responsabilité d’un citoyen canadien dans la réduction des émissions de CO2 lorsque celui-ci décide de voter pour un candidat favorable à des mesures vigoureuses en faveur du climat.
Seth Wynes, auteur principal de l’article explique ainsi le but de l’étude : « Si je veux savoir combien d’émissions j’économise en passant d’un véhicule thermique à un véhicule électrique, je peux tout à fait le trouver ; il en va de même pour l’achat de réfrigérateurs plus performants ou pour la transition vers une alimentation végan. Mais que se passera-t-il si je vote pour tel candidat ? Nous n’en avons aucune idée. Il est décevant que personne n’ait jamais essayé de le mesurer. »
Partant donc du constat qu’il n’existe pas aujourd’hui de mesure de l’impact d’un vote sur la réduction des émissions de CO2, les auteurs se sont lancés le défi d’estimer la responsabilité des électeurs à partir des élections canadiennes de 2019, une campagne où les partis étaient clairement divisés sur la question du climat. Le Parti conservateur souhaitait annuler la taxe carbone et promulguer des politiques contraires aux conseils des experts du climat. Le Parti libéral, (le gagnant), et trois autres partis, souhaitaient mettre en place des politiques censées réduire les émissions de CO2.
Une analyse des programmes des deux partis en tête de liste a permis de conclure que, d’ici 2030, le Canada émettrait 100 millions de tonnes (Mt) de CO2 de moins par an sous un gouvernement dirigé par les libéraux, soit 14 % des émissions du pays en 2021. Ce qui donnerait une somme cumulative de 612 Mt d’ici 2030 et un total de 192 Mt pour cette élection, en retenant les réductions d’émissions projetées qui seraient réalisées sur 3,4 ans (la durée moyenne d’un mandat au Canada).
Pour estimer la responsabilité des électeurs en matière d’émissions, les chercheurs ont réparti le total des émissions entre les 338 circonscriptions électorales qui élisent les membres du Parlement, et attribué une responsabilité égale à chaque électeur inscrit dans ces circonscriptions. Ils obtiennent ainsi une valeur médiane sur un an d’une réduction de 6,7 tonnes d’émissions de CO2 (équivalent) par électeur inscrit. Cette estimation attribue la responsabilité aux personnes inscrites qui n’ont pas voté et aux personnes dont le candidat choisi n’a pas gagné dans leur circonscription.
Pour aller plus loin, ils ont également réparti les réductions d’émissions prévues à la suite de l’élection uniquement entre les circonscriptions électorales gagnantes, c’est-à-dire les circonscriptions où le Parti libéral ou un autre parti favorisant des politiques climatiques a été élu. Les émissions dans chaque circonscription électorale gagnante sont alors distribuées uniquement aux personnes qui ont voté pour le candidat gagnant. Dans cette approche, l’électeur gagnant médian est responsable d’une réduction de 34,2 tonnes de CO2, tandis que les électeurs de la circonscription électorale la plus influente sont responsables de la réduction de 228,7 tonnes de CO2.
Quand ils comparent leurs résultats avec d’autres “gestes écolos”, aller voter serait 14 fois plus impactant que d’arrêter de prendre sa voiture, 21 fois plus impactant que de se passer d’un vol transatlantique, 43 fois plus impactant que de suivre un régime végétarien et 171 fois plus impactant que de faire du recyclage !
Source : Bloomberg, 23 mai 2022
Dans une deuxième approche plus probabiliste, les chercheurs ont étudié la rationalité pour un citoyen de choisir de faire un don à une campagne électorale “pro-climate” plutôt que d’acheter des compensations carbone (“carbon offsets”). Ils en concluent que soutenir une campagne peut être plus efficace en termes de réduction de CO2 que des investissements privés.
Au sujet de l’étude, les chercheurs précisent : “Les études de cas servent d’exemples illustratifs et ne doivent pas être considérées comme des estimations précises de l’impact climatique du vote. Le coût de l’obtention d’un vote dans une campagne variera toujours en fonction des spécificités de la campagne en question. À l’avenir, nous aurons peut-être une meilleure compréhension de la façon dont cette valeur évolue dans différentes circonstances. Les études de cas suggèrent néanmoins que la responsabilité des individus en matière d’émissions dans le cadre des élections peut être comparable à la responsabilité qu’ils peuvent encourir en matière d’émissions dans leur vie quotidienne.”
Si l’étude avait été réalisée en France, les résultats seraient sans doute différents. Il n’en reste pas moins que voter et contribuer à faire élire des hommes politiques qui prennent au sérieux la crise écologique et tentent d’y remédier est un “éco-geste” plus important qu’on ne le pense. Certes, il n’y a pas forcément des candidats aux élections qui prennent au sérieux la crise écologique ET qui en même temps défendent les valeurs dans lesquelles beaucoup de chrétiens se reconnaissent. Pour autant, nous vous invitons à ne pas négliger le pouvoir de votre vote, à vous informer et à prier pour savoir pour quel candidat voter…et pourquoi pas envisager de vous présenter à une prochaine élection ?