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Parler d’écologie ne sert à rien: une idée reçue ?

“Ras le bol d’entendre parler d’écologie” pour certains, “passer à l’action au lieu de discussions sans fin” pour d’autres, on peut vraisemblablement se demander si parler d’écologie est encore aujourd’hui une méthode de sensibilisation efficace. D’autant que quand on en parle, il y a de fortes chances pour que notre discours soit mal reçu par notre interlocuteur : sentiment de culpabilité ou de honte, rejet systématique de nos arguments… En tant que conférencier dont le rôle est précisément de parler d’écologie et de foi, Jean-François Mouhot, notre directeur national, a longtemps été confronté à ces problématiques. 

 

Marie Pfund (M.P) : Bonjour Jean-François. Greta Thunberg avait beaucoup fait parler d’elle lors de la COP26 pour avoir dénoncé les “bla-bla-bla” de “nos soi-disant dirigeants”. Es-tu d’accord avec ses critiques ?

Jean-François Mouhot (J-F.M) : Je comprends la frustration et la colère des jeunes de la génération de Greta qui voient leur avenir et celle de la planète mis en danger par l’inaction politique. Je comprends que ces jeunes soient exaspérés par les tergiversations de nos dirigeants, au milieu de beaux discours d’intention. Pour autant, aucun de nous n’est parfaitement cohérent  et nous tergiversons tous au milieu d’injonctions contradictoires. Les politiciens, comme nous, sont en fait pris entre le marteau et l’enclume : comme l’écrivait récemment le psychologue Thierry Ripoll, “aucun Etat ne peut, sans risque et de manière unilatérale, s’extraire du modèle politico-économique actuel, d’où l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et les contradictions que nous vivons tous dans notre quotidien” (“Crise environnementale : dépasser l’opposition cerveau-culture”, Le Monde, 14 juillet 2022). De fait, je pense que nous n’avons collectivement pas tellement d’autres solutions que de nous parler : le problème du changement climatique nécessite une coopération de tous les pays de la planète. Ce qui ne veut pas dire bien sûr qu’il ne faut pas écouter la demande de Greta (et d’autres) que les discours se traduisent par des actions concrètes.

M.P : En effet, ce qui compte, in fine, c’est quand même bien l’action…non ?

J-F.M : Nous vivons dans une société qui a tendance à survaloriser l’action, l’image, la “réalité”, par rapport à la parole et à la Parole (voir le livre de Jacques Ellul, La Parole Humiliée (Seuil, 1981)). Cette dévalorisation de la parole s’explique en partie bien sûr par notre hypocrisie : il y a trop souvent un fossé entre ce que nous disons et ce que nous faisons. Mais dans la Bible, la parole (de Dieu, des hommes) a beaucoup d’importance. Quand Dieu parle, des choses se passent. Quand les hommes parlent, Dieu écoute (et c’est bien pour cela que nous sommes fortement incités à faire très attention à ce qu’on dit, voir par exemple Proverbes 17:18 ou Jacques 3). Je pense donc que parler d’écologie est très important, et peut-être même une des choses les plus importantes qu’on peut faire à l’échelle individuelle. C’est en tout cas ce qu’argumente Katharine Hayhoe, climatologue et chrétienne évangélique très connue aux Etats-Unis, dans son nouveau livre Saving Us (2021). Katharine Hayhoe a même enregistré un Ted Talk, intitulé “La chose la plus importante que vous pouvez faire pour lutter contre le changement climatique : parlez-en !” qui a plus de 4 millions de vues sur Youtube.

M.P : Est-ce qu’il existe une bonne manière de parler d’écologie ?

J-F.M : Une nouvelle étude menée par des chercheurs a récemment analysé les meilleures stratégies de communication. L’un des points centraux est de privilégier la compassion et l’empathie au lieu du jugement ou d’une approche “clash”, et à ne pas dissimuler ou minimiser nos convictions. Mais il faut être conscient que parler d’écologie est compliqué, car cela revient à pointer du doigt notre péché, individuel et collectif. C’est, comme l’a dit Al Gore, ‘une vérité qui dérange’. Pour autant, je suis convaincu bien sûr qu’il faut le faire sans avoir peur et que tout le monde est capable de le faire à son échelle.

M.P : Que fait A Rocha dans le domaine de la sensibilisation et quelle est son approche sur la question ?

J-F.M : D’abord, nous formons des Ambassadeursvia des webinaires mensuels et une semaine de formation aux Courmettes chaque été (du 24 au 30 juillet cette année, et il reste quelques places !), pour parler de la crise écologique autour d’eux et pour agir. Nous allons dans les églises, dans les rassemblements, partout là où on fait appel à nous, pour présenter une vision chrétienne de la crise écologique et dialoguer avec les gens. Nous essayons de suivre l’approche décrite dans l’étude citée juste avant, mais nous marchons sur une corde raide. Nous naviguons entre la confiance et la foi en Dieu et la conscience de la gravité et de l’urgence du problème écologique ; entre l’espérance d’une terre renouvelée (promise dans la Bible), et la nécessité de la préservation et la sauvegarde de la terre ici présente ; entre notre foi dans la capacité de Dieu à sauver la planète et la nécessité, pour nous, d’agir.

M.P : Pour finir, est-ce que tu as une recommandation particulière à donner aux gens qui souhaitent s’engager plus sérieusement dans la sensibilisation ?

J-F.M : Je vous encourage à vous former tout d’abord, par exemple grâce aux ressources proposées par le Réseau Ambassadeurs. Et puis, si vous priez, demandez à Dieu de susciter des opportunités de parler de cette crise et de vous donner les bons mots pour le faire. Et n’hésitez pas à vous lancer, vous verrez que discuter de ces questions vous amènera à parler de choses souvent difficiles, mais profondes.

 

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Voter : un éco-geste qui compte

C’est sans doute l’une des questions les plus posées du moment : que peut faire un individu, à son échelle, face à l’ampleur du problème du réchauffement climatique ? Quelle action a le plus d’impact pour réduire ses émissions de CO2 ? Devenir vegan ? Arrêter de prendre l’avion ? Recycler ? Acheter des compensations carbone ? Et qu’en est-il dans tout ça de notre participation à la vie démocratique de notre pays ? Trois chercheurs ont publié en 2021 une étude qui évalue la responsabilité d’un citoyen canadien dans la réduction des émissions de CO2 lorsque celui-ci décide de voter pour un candidat favorable à des mesures vigoureuses en faveur du climat.

 

Seth Wynes, auteur principal de l’article explique ainsi le but de l’étude : « Si je veux savoir combien d’émissions j’économise en passant d’un véhicule thermique à un véhicule électrique, je peux tout à fait le trouver ; il en va de même pour l’achat de réfrigérateurs plus performants ou pour la transition vers une alimentation végan. Mais que se passera-t-il si je vote pour tel candidat ? Nous n’en avons aucune idée. Il est décevant que personne n’ait jamais essayé de le mesurer. »

Partant donc du constat qu’il n’existe pas aujourd’hui de mesure de l’impact d’un vote sur la réduction des émissions de CO2, les auteurs se sont lancés le défi d’estimer la responsabilité des électeurs à partir des élections canadiennes de 2019, une campagne où les partis étaient clairement divisés sur la question du climat. Le Parti conservateur souhaitait annuler la taxe carbone et promulguer des politiques contraires aux conseils des experts du climat. Le Parti libéral, (le gagnant), et trois autres partis, souhaitaient mettre en place des politiques censées réduire les émissions de CO2.

Une analyse des programmes des deux partis en tête de liste a permis de conclure que, d’ici 2030, le Canada émettrait 100 millions de tonnes (Mt) de CO2 de moins par an sous un gouvernement dirigé par les libéraux, soit 14 % des émissions du pays en 2021. Ce qui donnerait une somme cumulative de 612 Mt d’ici 2030 et un total de 192 Mt pour cette élection, en retenant les réductions d’émissions projetées qui seraient réalisées sur 3,4 ans (la durée moyenne d’un mandat au Canada).

Pour estimer la responsabilité des électeurs en matière d’émissions, les chercheurs ont réparti le total des émissions entre les 338 circonscriptions électorales qui élisent les membres du Parlement, et attribué une responsabilité égale à chaque électeur inscrit dans ces circonscriptions. Ils obtiennent ainsi une valeur médiane sur un an d’une réduction de 6,7 tonnes d’émissions de CO2 (équivalent) par électeur inscrit. Cette estimation attribue la responsabilité aux personnes inscrites qui n’ont pas voté et aux personnes dont le candidat choisi n’a pas gagné dans leur circonscription.

Pour aller plus loin, ils ont également réparti les réductions d’émissions prévues à la suite de l’élection uniquement entre les circonscriptions électorales gagnantes, c’est-à-dire les circonscriptions où le Parti libéral ou un autre parti favorisant des politiques climatiques a été élu. Les émissions dans chaque circonscription électorale gagnante sont alors distribuées uniquement aux personnes qui ont voté pour le candidat gagnant. Dans cette approche, l’électeur gagnant médian est responsable d’une réduction de 34,2 tonnes de CO2, tandis que les électeurs de la circonscription électorale la plus influente sont responsables de la réduction de 228,7 tonnes de CO2.

Quand ils comparent leurs résultats avec d’autres “gestes écolos”, aller voter serait 14 fois plus impactant que d’arrêter de prendre sa voiture, 21 fois plus impactant que de se passer d’un vol transatlantique, 43 fois plus impactant que de suivre un régime végétarien et 171 fois plus impactant que de faire du recyclage !

Source : Bloomberg, 23 mai 2022 

Dans une deuxième approche plus probabiliste, les chercheurs ont étudié la rationalité pour un citoyen de choisir de faire un don à une campagne électorale “pro-climate” plutôt que d’acheter des compensations carbone (“carbon offsets”). Ils en concluent que soutenir une campagne peut être plus efficace en termes de réduction de CO2 que des investissements privés.

Au sujet de l’étude, les chercheurs précisent : “Les études de cas servent d’exemples illustratifs et ne doivent pas être considérées comme des estimations précises de l’impact climatique du vote. Le coût de l’obtention d’un vote dans une campagne variera toujours en fonction des spécificités de la campagne en question. À l’avenir, nous aurons peut-être une meilleure compréhension de la façon dont cette valeur évolue dans différentes circonstances. Les études de cas suggèrent néanmoins que la responsabilité des individus en matière d’émissions dans le cadre des élections peut être comparable à la responsabilité qu’ils peuvent encourir en matière d’émissions dans leur vie quotidienne.”

Si l’étude avait été réalisée en France, les résultats seraient sans doute différents. Il n’en reste pas moins que voter et contribuer à faire élire des hommes politiques qui prennent au sérieux la crise écologique et tentent d’y remédier est un “éco-geste” plus important qu’on ne le pense. Certes, il n’y a pas forcément des candidats aux élections qui prennent au sérieux la crise écologique ET qui en même temps défendent les valeurs dans lesquelles beaucoup de chrétiens se reconnaissent. Pour autant, nous vous invitons à ne pas négliger le pouvoir de votre vote, à vous informer et à prier pour savoir pour quel candidat voter…et pourquoi pas envisager de vous présenter à une prochaine élection ? 🙂

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Vers une crise généralisée de l’eau ?

Selon les dernières prévisions de Météo-France, l’été qui approche à grands pas s’annonce exceptionnellement chaud et sec. Après un hiver déjà très sec et un printemps qui se classe parmi les trois les plus chauds et secs de l’histoire, les sols et les nappes phréatiques en France sont dans un état très préoccupant. Dans certaines communes, comme à Seillans (Var), des camion-citernes multiplient déjà les allers-retours chaque jour pour ravitailler la population en eau. Dans cette interview conduite par Marie Pfund, Jean-François Mouhot, notre directeur national, revient sur cette situation inquiétante. 

 

M.P : Bonjour Jean-François, le ministère de la Transition Écologique a annoncé en mai que 22 départements ont un risque « très probable » de sécheresse d’ici la fin de l’été, principalement dans le Sud-Est et l’Ouest. Quelle est aujourd’hui la situation au Domaine des Courmettes, le centre de formation à l’écologie géré par A Rocha en région PACA ?

J.F.M : Il y a quelques jours, nous nous sommes rendus compte que notre source, qui alimente en eau tout le Domaine et la ferme, a un débit qui s’est réduit des ⅔ par rapport à la normale de saison. Il n’a pratiquement pas plu depuis l’automne dernier et nous avons généralement très peu de pluie l’été. Même si nous avons des réserves, la situation est plutôt inquiétante. C’est quand l’eau vient à manquer qu’on prend conscience de manière brutale de son importance pour tous les besoins quotidiens, et combien il serait compliqué s’il fallait choisir entre laisser mourir les arbres du jardin ou alors prendre une douche et faire la vaisselle…

 

M.P: Est-ce qu’on peut attribuer cette situation au changement climatique ?

J.F.M : Le Sud de la France a toujours connu des épisodes de sécheresse, mais Météo France et de nombreuses autres sources fiables montrent que la fréquence, l’intensité et la durée de ces épisodes ont réellement augmenté ces dernières décennies. En fait, aujourd’hui, il ne fait pas de doute que la multiplication des épisodes de canicule sont liés au changement climatique. Les scientifiques travaillent à essayer de déterminer précisément quels événements climatiques extrêmes sont statistiquement directement liés au changement climatique, mais dans les faits tout le système climatique est maintenant durablement modifié par les émissions de gaz à effet de serre dues aux émissions humaines (via la combustion de pétrole, de gaz et de charbon, notamment).

 

M.P: Qu’en est-il des ressources en eau au niveau mondial ?

J.F.M : Le réchauffement climatique en cours nous affecte déjà et va continuer à nous impacter au cours du siècle. L’augmentation globale des températures entraîne un accroissement de l’évapotranspiration (c’est-à -dire une augmentation de l’évaporation et un assèchement des sols), et donc une augmentation des sécheresses. Le fait qu’il y ait plus d’énergie solaire dans le système atmosphérique entraîne d’autre part des risques de précipitations plus abondantes, et donc une augmentation des inondations (comme l’été dernier en Allemagne et en Belgique). Au niveau mondial, les récents rapports du GIEC publiés en 2022 alertent clairement sur les risques liés à la diminution de la disponibilité en eau : “Le changement climatique, notamment l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des phénomènes extrêmes, a réduit la sécurité alimentaire et hydrique. ». Cette menace concerne plus particulièrement les pays du Sud : “L’augmentation des phénomènes météorologiques et climatiques extrêmes expose des millions de personnes à une insécurité alimentaire aiguë et à une sécurité de l’eau réduite (…). Environ la moitié de la population mondiale connaît actuellement une grave pénurie d’eau pendant au moins une partie de l’année en raison de facteurs climatiques et non climatiques. » (résumé pour décideurs, B. 1.3, traduction libre).

 

M.P: Quels seront les impacts sur notre quotidien ? 

J.F.M : Ils seront nombreux : restrictions d’eau en été, risque d’augmentation des maladies transmises par l’eau dans certains pays soumis à des pénuries, et surtout un risque important d’augmentation des conflits d’usage liés à l’eau. Il suffit de penser aux films Jean de Florette ou Manon des Sources pour imaginer combien ces conflits autour de l’eau ont été importants dans le passé et le redeviendront très bientôt. La pénurie d’eau impacte aussi énormément la biodiversité. Par exemple, la sécheresse aux Courmettes et aux alentours en 2017 a entraîné une diminution très importante du nombre de cerfs élaphes.

 

M.P: Que fait A Rocha face à cette situation qui s’aggrave ? 

J.F.M : D’abord, nous alertons depuis de nombreuses années sur la réalité, la gravité et la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique. Nous espérons par cette prise de conscience une mobilisation de tous, notamment des chrétiens, pour agir au quotidien pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre et pour porter une parole publique sur la question du climat. L’Eglise et les chrétiens ont des atouts à faire valoir et pourraient être des exemples de vie simple et de sobriété. Par ailleurs, nous expérimentons concrètement aux Courmettes des moyens pour nous adapter au changement climatique en favorisant des techniques de jardinage moins gourmandes en eau (agriculture biologique avec paillage des sols par exemple), en réduisant notre consommation quotidienne et notre niveau de confort, et en envisageant de construire des stockages d’eau supplémentaires.

 

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Jean-François Mouhot est docteur en histoire de l’environnement, conférencier et directeur d’A Rocha France.

Marie Pfund est responsable communication et collecte de fonds pour A Rocha France.

 

Source : Novethic

BD

Liste rouge et enjeux de protection : le problème de l’Arche de Noé

La Liste rouge de l’UICN (L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature) est un indicateur qui permet de suivre l’état de la biodiversité dans le monde. Grâce à cet état des lieux, on sait aujourd’hui qu’une espèce de mammifères sur quatre, un oiseau sur sept, plus d’un amphibien sur trois et un tiers des espèces de conifères sont menacés d’extinction mondiale. Ces chiffres alarmants touchent malheureusement de plus en plus d’espèces, et on peut se demander comment ces listes influencent les programmes de protection de la biodiversité. Joël White, enseignant-chercheur en écologie à l’université de Toulouse et Vice-Président d’ A Rocha France, s’est penché avec nous sur cette question.

© Bill Roque’s Images

Marie Pfund (M.P) : Bonjour Joël, est-ce qu’il existe aujourd’hui une priorisation de la protection des espèces animales en fonction des catégories de l’UICN ? Si oui, dans quelle mesure ?

Joël White (J.W) : La liste rouge de l’UICN constitue un outil de référence pour connaître l’état de conservation global de nombreuses espèces animales et végétales. Elle dresse un inventaire en 9 catégories du niveau de menaces pesant sur chaque espèce (voir figure ci-dessus). Ce niveau de menace est évidemment l’un des critères utilisés lorsqu’il faut prioriser les actions de conservation : un habitat contenant de nombreuses espèces sur liste rouge peut être identifié comme étant à protéger en priorité. Cependant, les scientifiques pensent que d’autres critères doivent être pris en compte, tels que des critères phylogénétiques (l’espèce en question est-elle la seule de son groupe ou y a-t-il d’autres espèces qui lui sont apparentées ?) ou des critères fonctionnels (l’espèce en question a-t-elle une fonction spécifique ou est-elle particulièrement importante dans l’écosystème ?), comme les espèces dites « clés de voûte » ? Ce qui est certain, c’est qu’il est beaucoup plus utile de chercher à préserver des écosystèmes entiers abritant une diversité d’espèces que de se focaliser sur une espèce, quel que soit son degré de vulnérabilité.

Catégories de la liste rouge de l’UICN

M.P : Comment se sont construites ces catégories historiquement ?

J.W : La première liste rouge éditée en 1964 contenait seulement 204 espèces de mammifères et 312 espèces d’oiseaux et les classait en 4 catégories. Les 9 catégories actuelles sont utilisées depuis 2001 et l’UICN évalue désormais plus de 147 000 espèces, ce qui constitue déjà un bel accomplissement. Bien que la liste se soit au départ concentrée sur les espèces les plus connues comme les oiseaux, mammifères, reptiles et amphibiens, l’UICN s’efforce désormais d’évaluer d’autres groupes tels que les invertébrés, les plantes et les champignons. Mais la tâche est loin d’être terminée : si 85% des 4 groupes cités ci-dessus  sont évalués, c’est seulement le cas de 67% des poissons, 14% des plantes, 2% des invertébrés et 0,4% des champignons.  Au total, seuls 7% des 2 millions d’espèces décrites par la science à ce jour sont suffisamment étudiées pour pouvoir être évaluées par l’UICN. Cela nous révèle à quel point le déclin du vivant que l’on observe n’est en fait que la pointe émergée d’un énorme iceberg qui fond à vue d’œil.

 

M.P : Quelle est la tendance actuelle au sein des différentes catégories ?

J.W : Aujourd’hui, 28% des espèces répertoriées par l’UICN sont menacées et cette proportion ne cesse d’augmenter. Bien qu’il y ait des tendances positives comme par exemple pour le tigre, dont les populations ont récemment été revues à la hausse, la grande majorité des changements de statut indiquent une aggravation de l’état de conservation des espèces menacées.

 

M.P : Si le nombre d’espèces “en danger critique” ne cesse d’augmenter dans le futur, est-ce qu’il est réaliste de penser que nous devrons sélectionner les espèces à sauver (et donc aussi celles à laisser s’éteindre) ? 

J.W : Étant données les ressources et les finances limitées dont disposent les acteurs de la conservation, ils vont se retrouver de plus en plus souvent (et se retrouvent déjà !) dans la situation peu enviable de devoir faire des choix. Faut-il concentrer les efforts de conservation sur telle région/zone ou sur une autre ? C’est ce que les biologistes de la conservation anglo-saxons appellent « the agony of choice » ou « the Noah’s Ark problem ». Là encore, on se retrouve avec le problème des critères de priorisation. Faut-il protéger les zones contenant la plus grande diversité d’espèces ? Si oui, quels types de diversité (taxonomique, phylogénétique, fonctionnelle) ? Ou faut-il plutôt se concentrer sur celles avec le plus d’espèces menacées ? On pourrait au contraire se focaliser sur les espèces ayant le moins de risque de s’éteindre à court ou moyen terme afin de ne pas « gâcher » nos efforts. Comme vous pouvez le constater, cette question est extrêmement difficile à résoudre, même d’un point de vue purement rationnel et scientifique.

 

M.P : Est-ce que cela ne pose pas aussi un problème éthique ?

J.W : Je ne suis pas un spécialiste de l’éthique, mais ça me semble compliqué de dire qu’une espèce a plus de valeur qu’une autre et de mettre en place une échelle de valeur des millions d’espèces qui habitent sur cette terre. On pourrait prendre une vision anthropocentrée et considérer les espèces les plus « utiles » à l’Homme, mais on voit bien les dégâts qu’a causé cette vision au cours des derniers siècles. Pour prendre un exemple, des 7 000 espèces de plantes utilisées par l’humanité dans l’ère pré-industrielle, seules 12 constituent aujourd’hui la quasi-totalité de l’alimentation mondiale (Esquinas-Alcazar 2005 Nature Review). De même, les 4 espèces de bétail utilisées pour l’alimentation mondiale constituent 60% de la biomasse totale des mammifères sur la planète contre seulement 4% pour les 6000 espèces de mammifères sauvages – les 36% restants sont la biomasse totale des êtres humains. (Bar-On et al 2018 PNAS). Outre l’impact sur la biodiversité, le développement à outrance d’une poignée d’espèces qui nous semblent les plus utiles induit de nombreux problèmes en lien avec la monoculture : baisse de la diversité génétique (vulnérable aux pathogènes, aux changements climatiques), uniformisation et donc érosion des sols, davantage de dépendances aux pesticides et aux engrais, etc…

 

M.P : Est-ce qu’il existe une vision biblique sur ce problème ?

J.W : Je crois que la Bible montre l’importance et la valeur que Dieu accorde à chacune des espèces qu’Il a créées. Dans Matthieu 10:29-31, Jésus dit que pas un seul moineau (une espèce insignifiante pour les gens de l’époque) ne tombe au sol sans que Dieu ne s’en soucie. La Genèse, certains Psaumes et des sections de Job montrent également comment Dieu se réjouit de toute la diversité d’espèces qu’Il a créées. Dave Bookless, pasteur, auteur et directeur théologique d’A Rocha International (et prochain intervenant du séminaire d’éco-théologie aux Courmettes) écrit dans son livre  Dieu, l’écologie et moi que chaque espèce nous révèle quelque chose d’unique sur Dieu. Chaque fois que l’une d’entre elles disparaît, c’est comme si nous effacions une “empreinte” de Dieu dans ce monde.

 

M.P : Finalement, que faire pour ne pas avoir à réaliser une telle sélection ? 

J.W : Les actions de conservation sont ô combien nécessaires et utiles, mais leurs effets seront bien dérisoires si elles ne s’accompagnent pas d’un changement radical de nos comportements individuels et du fonctionnement de nos sociétés occidentales. C’est notre surconsommation, notre système agroalimentaire avec tous les effets néfastes de l’agriculture intensive et notre mode de vie occidental qui ont le plus d’impact sur la biodiversité mondiale et locale.

 

M.P : Que fait A Rocha autour de la protection de la biodiversité et en particulier sur les espèces de la liste rouge ?

J.W : 1,2 million hectares d’espaces naturels sur les 5 continents ont bénéficié des actions de protection et de restauration d’A Rocha ainsi que 431 espèces menacées. Simon Stuart, le directeur actuel d’A Rocha International, est un ancien membre du comité UICN et a largement contribué au développement de la liste rouge actuelle. En France, 37 500 ha et une quarantaine d’espèces menacées ont été positivement impactés par nos interventions. Les actions de protection de la biodiversité n’étant efficaces que si elles s’accompagnent d’un changement de nos comportements collectifs et individuels, A Rocha œuvre également à éveiller les consciences sur la réalité de la crise écologique et de notre responsabilité, notamment à travers son réseau Ambassadeurs.

 

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